La plus haute juridiction est saisie par un conseil des prud'hommes. De sa décision découlera la jurisprudence sur une des mesures phares d'Emmanuel Macron.

Le barème Macron sur les prud'hommes suscite décidément bien des remous. Depuis son instauration, il encadre le versement d'indemnités aux salariés en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Mais ces derniers mois, de nombreux conseils de prud'hommes, composés de représentants patronaux et de salariés, ont décidé de s'en affranchir. Conseillés par leur avocat, des salariés ont notamment invoqué l'incompatibilité de ce barème Macron avec des accords supranationaux : la convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail (OIT), la Charte sociale européenne et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme. Ils estiment que la mesure voulue par le président de la République empêche le juge de leur octroyer une réparation appropriée à leur cas particulier.

Une mesure phare des ordonnances travail menacée

La multiplication des jugements qui écartent l'application du barème Macron, adopté dans le cadre des ordonnances de libéralisation du droit du travail de septembre 2017, crée une incertitude juridique. Surtout, il mine l'objectif initial affiché par le gouvernement de rassurer les employeurs sur leur capacité à se séparer de leurs salariés à un coût connu à l'avance pour favoriser les embauches en CDI.

Un conseil des prud'hommes, celui de Louviers (Eure, Normandie), a fini par saisir la Cour de cassation pour avis, dans un jugement daté du 10 avril et révélé par le cabinet d'avocat spécialisé Capstan. Un avis qui devrait entraîner toute la jurisprudence. Le juge départiteur et les quatre conseillers prud'homaux demandent à la Cour de cassation de trancher et de lui dire si le barème Macron est, oui ou non, compatible avec ces textes.

Sur son site internet, la Cour de cassation prévoit en effet qu'elle peut être saisie pour une demande d'avis lorsqu'« au cours d'une procédure, il arrive que le juge d'un tribunal ou d'une cour d'appel soit confronté à une question de droit nouvelle qui pose une difficulté d'interprétation particulière. Il peut alors, avant de rendre sa décision, demander à la juridiction suprême de lui apporter un éclairage ». À condition, toutefois, de respecter certaines conditions : « la question posée par le juge doit, notamment : être nouvelle ; être de pur droit ; présenter une difficulté sérieuse ; se poser dans de nombreux litiges ». Cela semble être le cas ici. Le barème d'indemnités aux prud'hommes a donné lieu à de nombreuses décisions judiciaires contradictoires. La Cour de cassation a désormais trois mois pour se prononcer.

Le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel ont validé le barème

Reste à savoir si la Cour de cassation peut vraiment rendre un avis sur le respect ou non des conventions internationales par le droit français. Dans une décision de 2018, les juges de la Cour de cassation ont par exemple estimé que le contrôle « de conventionnalité », en l'espèce de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, « relève de l'examen préalable des juges du fond et, à ce titre, échappe à la procédure de demande d'avis ». En clair, elle pourrait ne pas pouvoir décider au travers d'un avis, mais seulement en cas de pourvoi d'un cas particulier en cassation, après un appel.

Une cour d'appel, celle de Paris, doit justement statuer prochainement sur la question. Une audience est programmée le 23 mai. L'entrée en jeu de la juridiction de seconde instance intervient après l'appel d'un jugement du conseil des prud'hommes de Paris du 29 mars 2016, selon une source du palais. Dans cette affaire, un salarié contestait l'absence d'évaluation personnelle dans son entreprise. Depuis cette décision, il a été licencié le 1er février 2018, un licenciement qu'il conteste. La cour d'appel, qui a entendu les plaidoiries des avocats le 14 mars, va donc devoir trancher. Une autre cour d'appel, celle de Reims, doit également se prononcer en juin.

Rappelons que le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État ont tous deux validé le barème Macron. Dans une décision du 7 décembre 2017 rendue dans le cadre d'un « référé suspension » émanant de la CGT, ce dernier a estimé que la violation de la convention de l'OIT et de la charte sociale européenne « n'est pas de nature à faire douter de la légalité du barème ». « C'est très fort dans le langage du Conseil d'État. S'ils avaient eu le moindre doute quant à la légalité du dispositif, ils auraient suspendu, dans l'attente que le Conseil d'État se prononce au fond », soulignait l'avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, François Pinatel, au Point en janvier 2019. Mais son avis, pas plus que celui du Conseil constitutionnel, ne s'impose aux autres juridictions.

D'autres barèmes en Europe

Cette affaire illustre en tout cas la difficulté faire évoluer le droit social vers plus de souplesse. « La quasi-totalité des États occidentaux à économie de marché adhérents à la convention 158 de l'OIT ont un barème. Et bien souvent, pour ne pas dire tout le temps, il est bien plus rigoureux que le nôtre. Cela veut dire que si notre barème est contraire à la convention 158 de l'OIT, cette convention explose ! » rappelait pour François Pinatel. L'avocat soulignait également que le barème ne fait que reprendre la moyenne d'indemnisations accordées aux prud'hommes avant le vote des ordonnances. « Il se contente de retranscrire la pratique et d'éviter les indemnisations farfelues qui pouvaient parfois être accordées. »

Dans une circulaire datée du 26 février 2019 révélé par le site ActuEL RH, le ministère de la Justice demandait aux présidents des cours d'appel et aux tribunaux de grande instance de lui communiquer les décisions relatives au barème d'indemnités. Et ce, afin de mieux préparer la riposte des procureurs généraux, justement, en cas d'appel. Bien lui en a pris, puisque la cour d'appel de Paris a demandé à écouter les arguments du Parquet général le 23 mai, avant de pouvoir rendre son jugement.

Source : Le Point

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