SANTÉ AU TRAVAIL
-Discrimination et harcèlement : double indemnisation en cas de préjudices distincts FONCTION PUBLIQUE -Marylise Lebranchu dévoile ses premières pistes de réforme de la Fonction publique EMPLOI ET CHÔMAGE -L’emploi salarié a baissé de 0,3 % en 2014 -L’assainissement-maintenance industrielle veut rééquilibrer sa pyramide des âges CONTRAT DE TRAVAIL -Le statut collectif rénové des centres équestres est étendu LÉGISLATION ET RÉGLEMENTATION -Revalorisation de l’aide au poste dans les structures d’IAE. FORMATION -Déjà un million de CPF ouverts -RSE -La proposition de loi sur le devoir de vigilance des multinationales révolte le Medef LE DOSSIER CONVENTION COLLECTIVE Nº 47/2015 - 12 MARS 2015 FORMATION -Les assurances gardent le cap de la GPEC et de la formation -L’accord renforce aussi la gestion paritaire en matière de GPEC au niveau de la branche.
Discrimination et harcèlement : double indemnisation en cas de préjudices distincts
SANTÉ AU TRAVAIL Dans un arrêt rendu le 3 mars 2015, la Cour de cassation admet qu’un salarié, victime à la fois d’une discrimination et d’un harcèlement moral, puisse prétendre à une double indemnisation, dès lors qu’est démontrée l’existence de préjudices distincts.
Cour de cassation, Chambre sociale, Arrêt nº 394 du 3 mars 2015, Pourvoi nº 13-23.521 La frontière entre discrimination et harcèlement moral peut parfois s’avérer poreuse. Un comportement discriminatoire répété à l’encontre d’un salarié peut constituer un harcèlement moral, au sens de l’article L. 1152-1 du Code du travail, dès lors qu’il a pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à sa dignité, d’altérer sa santé ou encore de compromettre son avenir professionnel.
Lorsque des faits sont ainsi constitutifs à la fois d’une discrimination et d’un harcèlement, le salarié peut-il prétendre à une double indemnisation ? Oui, répond la Cour de cassation, dans un arrêt du 3 mars 2015 (nº 13-23.521 FS-PB). Néanmoins, ces réparations distinctes ne sont pas automatiques. Elles sont en effet subordonnées à la démonstration, par le salarié, de l’existence de préjudices différents.
Diminution d’une partie des fonctions au retour de chaque congé maternité
Dans cette affaire, une salariée engagée en qualité de rédactrice stagiaire par une société d’édition avait été licenciée après avoir été déclarée inapte à tout poste existant dans l’entreprise.
S’estimant victime de harcèlement moral et de discrimination en raison de son état de grossesse, elle avait saisi le juge pour obtenir réparation. La salariée faisait en effet valoir que, après chacun de ses trois congés maternité, elle avait vu sa fonction rédactionnelle diminuer jusqu’à totalement disparaître. Ces actes discriminatoires constituaient également, selon elle, un harcèlement moral, puisque les agissements répétés de l’employeur visant à l’isoler avaient eu pour effet de porter gravement atteinte à son état de santé.
Retenant l’existence d’une discrimination, la cour d’appel lui avait alloué 20 000 € de dommages-intérêts au titre d’une part du préjudice moral résultant du sentiment d’être « mise au placard » et, d’autre part, du préjudice financier résultant de la perte d’une partie des rémunérations qu’elle aurait pu percevoir sous forme de piges. Les juges du fond avaient, en revanche, rejeté la demande de réparation au titre du harcèlement moral, dans la mesure où les griefs et le préjudice moral invoqués étaient les mêmes que ceux retenus pour caractériser l’existence de la discrimination.
Mais la Cour de cassation ne partage pas cet avis.
Reconnaissance de préjudices distincts
L’arrêt du 3 mars pose pour principe que « les obligations résultant des articles L. 1132-1 et L. 1152-1 du Code du travail sont distinctes, en sorte que la méconnaissance de chacune d’elles, lorsqu’elle entraîne des préjudices différents, ouvre droit à des réparations spécifiques ».
En l’occurrence, les dommages-intérêts alloués par la cour d’appel au titre de la discrimination « réparent les préjudices matériels et moraux résultant de la privation d’une partie des fonctions de l’intéressée après retour de ses congés maternité ». Ils ne réparent pas, en revanche, « l’atteinte à la dignité et à la santé de la salariée, ayant conduit à un état d’inaptitude médicalement constaté, résultant du harcèlement moral dont elle a fait l’objet », constate la Cour de cassation. La cour d’appel aurait donc dû lui accorder une indemnisation spécifique au titre de ce second préjudice.
En d’autres termes, lorsqu’un même comportement est constitutif de harcèlement moral et de discrimination, il y a bien méconnaissance de la part de l’employeur de deux obligations légales distinctes : celle tenant à la prohibition des discriminations (C. trav., art. L. 1132-1) et celle de faire cesser toute situation de harcèlement moral (C. trav., art. L. 1152-1). Le respect de chacune d’elles s’apprécie isolément et peut donc donner lieu à une double indemnisation en cas de violation.
Mais encore faut-il que le salarié apporte la preuve de préjudices distincts pour chacun de ces manquements.
En effet, le juge ne peut réparer deux fois le même préjudice, quand bien même celui-ci aurait pour origine la violation de deux obligations légales. Si le cumul d’indemnités est possible, il n’est donc pas systématique.
Cette décision n’est pas surprenante au vu de la jurisprudence adoptée par la Cour de cassation en matière de harcèlement moral. Elle admet en effet qu’un salarié peut demander non seulement des dommages-intérêts au titre du harcèlement moral subi, mais aussi une indemnisation spécifique au titre du manquement de l’employeur à son obligation de prévention en la matière, dès lors qu’il en est résulté pour la victime des préjudices distincts(Cass. soc., 6 juin 2012, nº 10-27.694 ; Cass. soc., 19 novembre 2014, nº 13-17.729 ; v. l’actualité nº 16724 du 2 décembre 2014).
Notons que, dans cette affaire, la salariée avait en outre demandé une indemnisation au titre de la violation du principe d’égalité de traitement. Mais sa demande a été rejetée par la cour d’appel, suivie en cela par la Cour de cassation, dans la mesure où le préjudice subi par la salariée à ce titre avait été pris en compte dans l’octroi de dommages-intérêts au titre de la discrimination. Faute de préjudices distincts, le cumul d’indemnités était donc ici impossible.