Régime juridique de la liberté de manifestation

Depuis longtemps maintenant, la CGT dénonce l’augmentation sans cesse de la répression syndicale, à coups d’interpellation arbitraires, violences policières, procédures disciplinaires contre les militants, usage d’arme de « guerre » dans les manifestations, stratégie de maintien de l’ordre visant à intimider et étouffer toute contestation sociale... A cela s’ajoute une multiplication d’obstacles administratifs visant à empêcher l’organisation de manifestation ou de rassemblement tel que modification des parcours, interdiction des centre villes, demande farfelue de justificatifs aux organisations en dehors de tout cadre légal...

 Déclaration de manifestation

La liberté de manifestation est une liberté fondamentale reconnue et protégée par de nombreux textes internationaux et européens, notamment l’article 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, l’article 11 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Les juridictions internationales et européennes sont fermes et vigilantes sur ces questions. En aucun cas la liberté de manifester ne peut être entravée par un régime d’autorisation préalable. Le défaut de déclaration préalable ne devrait pas être pénalement sanctionné selon les Nations Unis, contrairement à ce qui est prévu en droit pénal français qui réprime pénalement le fait de ne pas déclarer une manifestation sur la voie publique (article 431-9 du code pénal 6 mois d’emprisonnement et 7500 euros d’amende) ce qui est particulièrement disproportionnée et attentatoire à la liberté de manifester.

En droit français, la manifestation sur la voie publique n’est pas soumise à un régime d’autorisation mais à un simple régime de déclaration préalable. La Préfecture n’a pas à autoriser ou accepter, elle n’a que le pouvoir d’interdiction en cas de menace à l’ordre public.

Pour rappel selon l’article L211-2 du code de la sécurité intérieure, il est nécessaire de faire une déclaration de la manifestation envisagée. Concrètement, la déclaration est faite, contre récépissé, auprès de la municipalité ou de la Préfecture (de police à Paris) ou sous- préfecture, au moins trois jours francs et au plus quinze jours avant la manifestation.

Elle est signée par au moins un·e des organisateur·rice·s qui indiquent le but, la date, l’heure du rassemblement ainsi que l’itinéraire projeté.

En cas de risques de trouble à l’ordre public, l’autorité peut tenter de vous imposer une mo- dification du parcours ou prendre un arrêté d’interdiction de la manifestation.

 Entraves administratives à la liberté de manifester

L’autorité publique ne peut en aucun vous imposer d’autres formalités que celles prévues à l’article L. 211-2 du code de la sécurité intérieure. Ce texte ne prévoit aucunement l’obligation pour l’organisateur d’assurer la sécurisation du parcours ni d’organiser un service d’ordre ni même de justifier d’une assurance particulière !

C’est au contraire aux pouvoirs publics d’assurer la sécurité des manifestants et la sécurisation du parcours. C’est d’ailleurs le seul intérêt de la déclaration préalable : informer préalablement les autorités pour leur permettre d’anticiper et organiser au mieux cette manifestation afin de sécuriser le parcours et assurer la sécurité des manifestants !

Le maintien de l’ordre public et la protection de la liberté fondamentale de manifester appartient bien aux pouvoirs publics ! Et non le contraire !

Nous invitons donc les organisations, qui seraient confrontés à ce type d’agissement, pouvant facilement s’assimiler à de l’intimidation, à systématiquement demander aux pouvoirs publics sur quels textes ils se fondent pour exiger cela et leur rappeler les textes en vigueur en matière de liberté de manifester.

 Contester un arrêté d’interdiction ou de modification de parcours

Il est possible de contester cette décision administrative. En effet il faut rappeler que les textes européens et internationaux relatifs aux droits de l’homme et aux libertés fondamentales sont particulièrement protecteurs concernant le droit à la liberté de réunion pacifique (rassemblement et manifestations). En effet pour les juges européens et internationaux, il faut que les restrictions et les interdictions répondent à des critères stricts de nécessité et de proportionnalité et ne doivent pas porter atteinte au droit à la liberté de réunion pacifique.

En cas de décision défavorable, il est nécessaire de réagir vite et de prendre contact rapidement avec un avocat (spécialisé si possible en droit public) afin de saisir le juge des référés du tribunal administratif de votre ressort. Le mieux est de contester dans un délai de 24 heures après la décision défavorable.

 Requête en référé liberté devant le tribunal administratif

Il est alors possible de déposer un référé liberté car celui-ci permet d'obtenir du juge des référés « toutes mesures nécessaires » à la sauvegarde une liberté fondamentale à laquelle l'administration aurait porté atteinte de manière grave et manifestement illégale. Le juge se prononce dans ce cas en principe dans un délai de 48 heures.

Conditions : Article L. 521-2 du Code de la justice administrative

Conseillé de prendre un avocat spécialisé dans le droit public notamment pour respecter les procédures et délais particuliers, mais il faut savoir que ce n’est pas obligatoire

 Il faut justifier d’une condition d’extrême urgence ; lorsqu’il s’agit d’une interdiction de manifestation ou d’une décision sur le parcours, cela se justifie facilement dans la mesure la manifestation va se dérouler quelques jours plus tard.

  •   Montrer qu'une liberté fondamentale est en cause, en l’occurrence il s’agit de la liberté de manifestation qui est reconnue comme le droit à la liberté de réunion pacifique en droit international et européen

  •   Montrer que l'atteinte portée à cette liberté est grave et manifestement illégale. Quelles formes pour la requête ?

    La requête est adressée le plus rapidement possible au tribunal administratif. Cette requête doit exposer :

  •   Les conclusions (ce que l’on demande précisément au juge, par exemple l’annulation de l’interdiction de manifester ou de la décision de modification de parcours) ;

  •   La communication des documents précis (en l’occurrence la décision écrite du préfet)

  •   L'exposé précis des faits ;

  •   Les arguments juridiques ;

  •   Démontrer qu'il y a bien urgence.

    La requête fait l'objet d'une instruction accélérée. Le juge procède à un premier examen de la requête à son arrivée.

    S'il n'y a pas d'urgence, ou s'il est manifeste que la requête est irrecevable ou mal fondée, il peut la rejeter directement par une ordonnance rendue sans audience.

    Dans les autres cas, le juge fixe la date et l'heure de l'audience, dans un délai qui va de 48 heures à 1 mois ou plus selon le degré d'urgence.

    Sarah Silva Descas

    Conseillère confédérale Droit public Pour DLAJ

 

 

Texte de la décision N° E 21-82.451 F-D

N° 00688

ODVS
8 JUIN 2022

CASSATION
M. SOULARD président,

R É P U B L I Q U E F R A N Ç A IS E ________________________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS _________________________

ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, DU 8 JUIN 2022

M. [T] [O] a formé un pourvoi contre le jugement du tribunal de police de Metz, en date du 6 avril 2021, qui, pour participation à une manifestation interdite, l'a condamné à 11 euros d'amende.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de M. Samuel, conseiller, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [T] [O], et les conclusions de M. Lesclous, avocat général, après débats en l'audience publique du 10 mai 2022 où étaient présents M. Soulard, président, M. Samuel, conseiller rapporteur, Mme Ingall-Montagnier, conseiller de la chambre, et Mme Dang Van Sung, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure
1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure ce qui suit.

2. M. [T] [O] a formé opposition à une ordonnance pénale qui l'a condamné à une amende pour avoir, le 23 mai 2020, à [Localité 1], participé à une manifestation interdite sur la voie publique, faits prévus et réprimés parles articles R. 644-4 du code pénal, L. 211-4 et R. 211-26-1 du code de la sécurité intérieure.

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Pourvoi N° - 8 juin 2022

Examen des moyens Sur le premier moyen

5. Il n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi au sens del'article 567-1-1 du code de procédure pénale.

Mais sur le moyen relevé d'office et mis dans le débat Vu l'article 111-3 du Code pénal :

6. Selon ce texte, nul ne peut être puni pour une contravention dont les éléments ne sont pas définis par le règlement.

7. Pour déclarer le prévenu coupable de violation des interdictions ou de manquement aux obligations édictées par les décrets et arrêtés de police, infraction prévue par l'article R. 610-5 du même code, le jugement, après avoir écarté l'application de l'article R. 644-4 du code pénal, énonce que toutes les manifestations sur la voie publique sont soumises à l'obligation d'une déclaration préalable, que la manifestation à laquelle a participé le prévenu n'était pas déclarée et était donc prohibée et que, contrairement à ce qu'il prétend, les poursuites ne sont pas limitées aux organisateurs de la manifestation.

8. En prononçant ainsi, alors que ni l'article R. 610-5 du code pénal, ni aucune autre disposition légale ou réglementaire n'incrimine le seul fait de participer à une manifestation non déclarée, le tribunal a méconnu le texte susvisé et le principe ci-dessus rappelé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le second moyen de cassation proposé, la Cour :

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, le jugement susvisé du tribunal de police de Metz, en date du 6 avril 2021, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ;

RENVOIE la cause et les parties devant le tribunal de police de Metz autrement composé, à ce désigné par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe du tribunal de police de Metz et sa mention en marge ou à la suite du jugement partiellement annulé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le huit juin deux mille vingt-deux.

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