Avec le déconfinement prévu à compter du 11 mai 2020 et le retour au travail de nombreux employés, certains employeurs pourront être tentés d'effectuer des contrôles de température de leurs salariés ou même de lancer leur propre application de contrôle du Covid19 au sein de leur entreprise.

C'est ainsi que le constructeur automobile italien Ferrari met en place son projet "back on track" basé sur une appli de traçage numérique téléchargeable volontairement de type DP-PPT (Decentralized Privacy-Preserving Proximity Tracing) utilisant le protocole PEPP-PT d'un groupe de chercheurs européens ayant créé un système informatique facilitant la création d’applications de traçage des personnes malades sur https://pepp-pt.org ) (Reuters)

En Inde, l'app de contact tracing "Aarogya Setu" très intrusive (car collecte données bluetooph et GPS) devient obligatoire, y compris pour les salariés sur leur lieu de travail, avec sanctions pénales à la clé ! https://www.indiatoday.in/technology/news/story/coronavirus-lockdown-no-more-voluntary-aarogya-setu-app-now-mandatory-for-office-workers-1673438-2020-05-01

Alors qu'en est-il de la légalité de telles mesures en France ?

Rappelons tout d 'abord que le Règlement général de la protection des données (RGPD) en vigueur depuis deux ans dans l’Union Européenne ne s’oppose pas a priori, dans le contexte de gestion de crise, à l’utilisation des technologies numériques et à l’exploitation des données personnelles sous réserve de certaines garanties. Il a estimé que ces technologies ne constituaient pas une solution en elles-mêmes, mais pouvaient être utiles au sein d’une stratégie globale de lutte contre l’épidémie, à condition qu’elles soient un outil de responsabilisation et d’aide à la décision pour les citoyens, et non de stigmatisation, de répression ou de discrimination.

C’est pourquoi le Contrôleur européen de la protection des données (CEPD) préconise d’écarter le recours à la géolocalisation et de prévoir que l’utilisation des applications de traçage par Bluetooth soit proportionnée, temporaire et réévaluée régulièrement au regard de son efficacité ; qu’elle minimise l’atteinte à la vie privée ; et enfin qu’elle soit volontaire, seule manière selon lui de générer la confiance envers les autorités publiques, qui est la condition nécessaire à la large diffusion de ces applications et donc à leur efficacité pour endiguer l’épidémie.

Par aileurs, si l'employeur a une obligation de préserver la santé et la sécurité de ses salariés, il ne peut prendre des mesures que si elles sont proportionnées au but recherché et ne doit pas porter atteinte aux libertés fondamentales de ses salariés, ni au respect du droit de la personne. Quand au volontariat de la part des salariés, il est le plus souvent totalement illusoire eu égard au lien de subordination créé par le contrat de travail.

Un employeur ne peut donc collecter de manière systématique et généralisée, ou au travers d’enquêtes et demandes individuelles, des informations relatives à la recherche d'éventuels symptômes présentés par un employé ou un visiteur de l'entreprise.

Il n’est donc pas possible de mettre en œuvre, par exemple :

- des relevés obligatoires des températures corporelles de chaque employé/agent/visiteur 
- collecte de fiches ou questionnaires médicaux auprès de l’ensemble des employés 

Dans une communication du 6 mars 2020, la CNIL, après avoir souligné que les données de santé étaient protégées tant par le RGPD que par le Code de la santé publique, a rappelé qu'il n'était pas selon elle possible de mettre en œuvre des relevés obligatoires des températures corporelles de chaque employé puis de les adresser quotidiennement à leur hiérarchie et que "les employeurs doivent s'abstenir de collecter de manière systématique et généralisée, ou au travers d’enquêtes et demandes individuelles, des informations relatives à la recherche d'éventuels symptômes présentés par un employé/agent et ses proches".

Mais le Ministère du Travail considère dans le contexte actuel, qu’il est possible de relever la température des salariés à l’entrée de l’entreprise, sous certaines conditions.

Ces mesures peuvent donc faire l’objet de la procédure relative à l’élaboration des notes de service valant adjonction au règlement intérieur prévue le code du travail qui autorise une application immédiate des obligations relatives à la santé et à la sécurité.

Elles doivent alors respecter les dispositions du code du travail, en particulier celles relatives au règlement intérieur :

  • Être proportionnées à l’objectif recherché ;
  • Offrir toutes les garanties requises aux salariés concernés tant en matière d’information préalable, de conservation des données que des conséquences à tirer pour l’accès au site.

En outre, des garanties doivent être apportées :

  • La prise de mesure dans des conditions préservant la dignité ;
  • Une information préalable sur ce dispositif (RI, note de service, affichage, diffusion internet) en particulier sur la norme de température admise et sur les suites données au dépassement de cette norme : éviction de l’entreprise, précisions sur les démarches à accomplir, conséquences sur ma rémunération, absence de collecte de mes données de température par l’employeur ;
  • Une information sur les conséquences d’un refus.

Sous ces conditions, si le salarié refuse la prise de sa température, son employeur serait alors en droit de lui refuser l’accès de l’entreprise (Questions-réponses « Covid-19 » du Ministère du Travail du 10 avril 2020 dans son FAQ questions réponses 

Prudence cependant pour une mise en place de tels contrôles dans le cadre d’un déconfinement, avec une note de service valant adjonction au règlement intérieur prévue à l’article L. 1321-5 du code du travail  communiquée simultanément au secrétaire du comité social et économique, ainsi qu’à l’inspection du travail.

Une ordonnance du 1er avril 2020 prévoit enfin que le médecin du travail peut procéder à des tests de dépistage du Covid-19 selon un protocole défini par arrêté. Dans l'entreprise, ce test est donc pour le moment réservé à ce professionnel de santé.

Enfin, nous rappellerons que le secrétaire d'Etat au Numérique Cédric, dans un entretien au JDD a précisé concernant l'application gouvernementale StopCovid qu"un employeur qui obligerait à l’utiliser s’exposerait à des poursuites pénales."

Mise à jour du 3 mai 2020

La ministre du Travail Muriel Penicaud a présenté ce dimanche un protocole de déconfinement pour le secteur privé. La prise de température ne sera pas obligatoire et les campagnes de dépistage, interdites, comme nous vous l'annoncions déjà.

Dans ce protocole national de déconfinement, il est précisé que considérée comme peu fiable, la généralisation du contrôle de température est exclue. Les sociétés ne peuvent ainsi contraindre un salarié à s’y soumettre. Un contrôle de température à l’entrée des établissements/structures est donc déconseillé. 

Le Haut Conseil de la santé publique rappelle, dans son avis du 28 avril 2020, que l’infection à SARS-CoV-2 peut être asymptomatique ou pauci symptomatique, et que la fièvre n’est pas toujours présente chez les malades. De plus, le portage viral peut débuter jusqu’à 2 jours avant le début des signes cliniques. La prise de température pour repérer une personne possiblement infectée serait donc faussement rassurante, le risque non négligeable étant de ne pas repérer des personnes infectées. Par ailleurs, des stratégies de contournement à ce contrôle sont possibles par la prise d’antipyrétiques.


Toutefois, les entreprises, dans le cadre d’un ensemble de mesures de précaution, peuvent organiser un contrôle de la température des personnes entrant sur leur site. Dans le contexte actuel, ces mesures peuvent faire l’objet de la procédure relative à l’élaboration des notes de service valant adjonction au règlement intérieur prévue à l’article L. 1321-5 du code du travail qui autorise une application immédiate des obligations relatives à la santé et à la sécurité avec communication simultanée au secrétaire du comité social et économique, ainsi qu'à l'inspection du travail.

Elles doivent alors respecter les dispositions du code du travail, en particulier celles relatives au règlement intérieur, être proportionnées à l’objectif recherché et offrir toutes les garanties requises aux salariés concernés tant en matière d’information préalable, d’absence de conservation des données que des conséquences à tirer pour l’accès au site.  En outre, des garanties doivent être données, notamment: la prise de mesure dans des conditions préservant la dignité, une information préalable sur ce dispositif (RI, note de service, affichage, diffusion internet) en particulier sur la norme de température admise, l’objectif de la mesure et sur l’absence de suites  au dépassement de cette norme.

En tout état de cause, en l’état des prescriptions sanitaires des autorités publiques, le contrôle de température n’a pas un caractère obligatoire et le salarié est en droit de le refuser. Si l’employeur, devant ce refus, ne laisse pas le salarié accéder à son poste, il peut être tenu de lui verser le salaire correspondant à la journée de travail perdue

Enfin, interdiction formelle de réaliser des campagnes de dépistage du Covid-19 : les tests ne pourront être réalisés qu’en cas de symptômes par le médecin du travail ou le médecin traitant. S’il ne respecte pas ces consignes, l’employeur engagera sa responsabilité civile et pénale, comme en cas d’atteintes à la santé et à la sécurité des salariés.

 

Source : Thierry  VALLAT, avocat au Barreau de PARIS

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