
Les députés ont adopté mercredi la proposition de loi de la députée LREM Laetitia Avia, qui oblige le retrait en 24 heures des propos manifestement discriminatoires ou injurieux, ou faisant l’apologie de crimes contre l’humanité. Pour l’apologie du terrorisme, le délai est réduit à une heure.
Les révélations de Mediapart sur les agissements que cinq de ses anciens assistants parlementaires reprochent à la députée LREM Laetitia Avia n’auront guère perturbé l’adoption, mercredi à l’Assemblée nationale, de la loi qu’elle porte depuis un an. « Laisser penser qu’elle puisse être raciste ou homophobe est un non-sens absolu », la défend Cédric O, secrétaire d’État au numérique qui « travaille avec elle » depuis un an sur le texte contre les propos haineux sur Internet.
Le sujet illustre pourtant à merveille, comme une mise en abyme, les débats qui peuvent survenir, s’agissant de savoir si un propos est manifestement raciste ou homophobe, par exemple. La députée a en effet justifié sur Twitter, mardi soir, l’utilisation de l’expression « L’amendement des PD » par le fait que « c’est l’expression qu’utilisait mon ex-collab, lui-même homosexuel, pour désigner cet amendement que j’ai soutenu ».

Tweets de Laetitia Avia, mardi 12 mai.
Irrecevable même s’il était de bonne foi, et d’ailleurs démenti par le collaborateur en question, l’argument de Laetitia Avia a le mérite de montrer que, selon la personne qui l’énonce, une parole, une expression, pourra être comprise, reçue, acceptée différemment et considérée, ou pas, comme « manifestement » discriminatoire. « J’observe que la ligne de défense que vous avez utilisée est qu’il faut contextualiser », souligne le député insoumis Alexis Corbière à l’appui de son argumentation contre le texte. Texte selon lequel, dès le 1er juillet prochain, les plateformes numériques devront donc retirer en moins de 24 heures tout propos qu’on leur aura signalé comme manifestement illicite.
De nouveaux documents révélés par Mediapart contredisent la défense de la députée LREM de Paris. Certains de ses propos à connotation raciste ou homophobe ne sont pas des blagues proférées dans un cadre privé. De nombreuses alertes avaient par ailleurs été lancées par ses assistants parlementaires.
Nier en bloc. C’est la défense adoptée par la députée LREM Laetitia Avia après les révélations de Mediapart sur les conditions de travail de cinq de ses anciens assistants parlementaires. Documents à l’appui, ils dénonçaient des humiliations à répétition au travail, ainsi que des propos à connotation sexiste, homophobe et raciste.
« Ce sont des accusations mensongères, incohérentes, des messages privés qui sont totalement déconnectés de leur contexte, manipulés à des fins d’affaiblir le texte que je présente cet après-midi. Je dépose plainte », s’est défendue la députée mercredi matin au micro de Sud Radio.
La veille, elle a aussi publié une série de tweets pour dénoncer des « bouts de messages privés […] tronqués, détournés et décontextualisés ». « Je n’ai jamais été raciste ou homophobe », précise-t-elle en pointant « une manipulation honteuse ». Et son avocat, Basile Ader d’ajouter sur BFMTV : « Quant au mot “Chinois”, je vais voir les pièces parce que j’espère bien que le journaliste se défendra en tentant de prouver la vérité de ce qu’il a dit, car il ne suffit pas de dire “j’ai trouvé des collaborateurs qui témoignent de manière anonyme” pour établir une vérité. »
Notre enquête repose en effet sur le témoignage de cinq ex-salariés qui ont tous accepté de venir témoigner en cas de procès en diffamation. « C’était son bouc émissaire, elle l’appelait parfois “le Chinois” ou reprenait des clichés racistes pour parler de lui », précisait l’un d’entre eux à propos d’un ancien salarié de la députée d’origine asiatique. Mais pas seulement. Nous avons aussi publié deux messages envoyés par la députée pour étayer cette affirmation.
Cela n’a pas empêché des membres du gouvernement d’exprimer leur soutien à Laetitia Avia. « Cela fait un an que je travaille quasiment quotidiennement avec Laetitia Avia et laisser penser qu’elle puisse être raciste ou homophobe est un non-sens absolu », a ainsi déclaré le secrétaire d’État chargé du numérique, Cédric O, face à l’Assemblée nationale, lors de l’examen de la loi sur la cyberhaine, justement portée par la députée.
La porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye, a quant à elle évoqué « des rumeurs de presse » et déclaré : « Je tiens néanmoins et très chaleureusement à saluer le travail qui est le sien, en matière de lutte contre les discriminations et de lutte contre la haine sur les réseaux sociaux. »
Dans l’article, la députée précisait aussi à Mediapart ne jamais tolérer les propos « racistes » ou « homophobes ». « Nulle part, y compris dans les cadres privés, y compris pour ce qui est considéré comme étant des blagues », nous a-t-elle affirmé. Mais pourquoi sur Twitter, n’explique-t-elle pas cette autre conversation du 6 juin 2018 à propos d’une ancienne ministre d’Édouard Philippe : « C’est ma copine [mais] elle communique très mal sur ce qu’elle fait. C’est ce qu’il se passe quand tu mets un gay à la com’. »
Pour se défendre, Laetitia Avia affirme aussi « qu’aucun » de ses salariés « ne s’est jamais plaint de harcèlement ». « Aucun n’a jamais saisi les prud’hommes ni ne s’est plaint d’un quelconque harcèlement ou d’une quelconque injure », ajoute son avocat.
C’est faux. Si aucun des ex-salariés n’a en effet saisi la justice, ils ont entamé de nombreuses démarches pour alerter sur leurs conditions de travail. La déontologue de l’Assemblée nationale a en effet été saisie à au moins six reprises entre 2017 et 2020. Selon plusieurs documents obtenus par Mediapart, des rendez-vous ont notamment été pris avec elle en juin 2018, janvier 2019 et mars 2020. À chaque fois par des collaborateurs différents.
Les syndicats de l’Assemblée ont également été saisis à au moins trois reprises. « J’ai été alertée par deux collaborateurs qui se demandaient comment quitter leur députée sans avoir de problème par la suite. Lors de deux rendez-vous différents, chacun m’a fait part d’une situation préoccupante. Ils avaient évoqué de vives tensions au sein de l’équipe de la députée, mais aussi des dénigrements en public et des réflexions à connotation raciste et homophobe », confirme auprès de Mediapart Laurence de Saint-Sernin, secrétaire générale du syndicat Solidaires de l’Assemblée. Patrice Petriarte, représentant syndical avait également été saisi le 23 janvier 2019 pour une troisième assistante parlementaire.
Plus récemment, l’une des collaboratrices actuelles de Laetitia Avia a alerté la cellule anti-harcèlement. D’après un « recueil des agissements » envoyé à la cellule et consulté par Mediapart, la salariée résumait déjà ses griefs contre sa supérieure : « Dévalorisation, humiliation, atteintes aux conditions de travail, dévalorisation sur l’habillement et aspect physique, jugement sur orientation sexuelle, jugement sur origine d’un collaborateur. »
« Je mentirais si je disais que je tombe des nues. Les collaborateurs ont alerté tout le monde, personne n’a rien fait. L’omerta a encore de beaux jours devant elle… », confirme d’ailleurs un ancien collaborateur du groupe LREM à BFMTV.
Le 19 mars dernier, le cabinet de Richard Ferrand et de Gilles Le Gendre avait d’ailleurs reçu un courrier détaillé d’une collaboratrice actuelle de Laetitia Avia. « Je sais ne pas être la seule collaboratrice dans une situation difficile, et je sais que la présidence de l’Assemblée est vigilante et suit attentivement chaque cas. Je ne demande rien pour moi, je souhaitais seulement vous alerter, au-delà de mon cas particulier, pour que d’autres ne souffrent pas de ces mêmes abus de pouvoir », alertait alors la salariée d’après un courriel obtenu par Mediapart.
D’ailleurs, le cabinet du patron du groupe En marche à l’Assemblée Gilles Le Gendre a confirmé connaître des dysfonctionnements : « On ne nie pas du tout qu’il y ait un litige professionnel dans [l’équipe de Laetitia Avia], mais nous ne pouvons pas jouer les médiateurs, nous respectons le droit du travail. »
En clair, alors que ces collaborateurs ont longtemps voulu arranger les choses sans leur donner trop de publicité, les régler dans un cadre professionnel sans aller jusqu’à saisir la justice, cela leur est aujourd’hui paradoxalement reproché.
Laetitia Avia dénonce enfin « un acharnement ». « J’ai en tout cas reçu instruction (de déposer plainte) contre l’auteur du message qui avait d’ailleurs tenté à Libérationde passer toute cette enquête et manifestement elle n’a pas été reçue là-bas donc il a reçu accueil à Mediapart donc on s’expliquera devant le tribunal. »
Encore une fois, cette affirmation est fausse. Cette enquête n’a jamais été proposée à Libération comme l’a confirmé mercredi sur Twitter l’un des rédacteurs en chef adjoint du quotidien. En revanche, l’auteur de l’enquête a bien publié deux précédents articles sur la députée. L’un dans Libération pour révéler que la porte-parole d’En marche avait ordonné à l’une de ses assistantes parlementaires (atteinte d’une maladie grave), d’interrompre son confinement pour rentrer travailler à Paris. Et un autre dans Mediapart, pour évoquer un courrier de cette collaboratrice adressé au président de l’Assemblée. Elle y précisait notamment ne plus vouloir travailler pour la députée.
Source Médiapart
Voir aussi : comment Laetitia Avia a tente de caviarder sa fiche wikipedia-n150287.html