La première présidente de la Cour de cassation, Chantal Arens, et le procureur général François Molins ont rappelé dans un communiqué lundi l'importance d'avoir une justice indépendante*. Une réponse au "besoin de procès" évoqué quelques jours auparavant par Emmanuel Macron dans l'affaire du meurtre de Sarah Halimi, lors de son déplacement en Israël.
La justice doit être indépendante, et la première présidente de la Cour de cassation ainsi que le procureur général près cette Cour tiennent à le rappeler à Emmanuel Macron. En déplacement en Israël jeudi, le président de la République avait évoqué le meurtre de Sarah Halimi, dont le suspect a été déclaré pénalement irresponsable en décembre. Il avait évoqué le "besoin de procès" dans cette affaire. Ce faisant, il a passablement agacé le monde de la justice.
"L'indépendance de la justice, une condition essentielle du fonctionnement de la démocratie"
C'est par la voix de Chantal Arens et de François Molins qu'arrive ce lundi une nouvelle preuve de cet agacement. Ces derniers rappellent dans un communiqué que "l'indépendance de la justice, dont le Président de la République est le garant, est une condition essentielle du fonctionnement de la démocratie". Avant de pointer que "les magistrats de la Cour de cassation doivent pouvoir examiner en toute sérénité et en toute indépendance les pourvois dont ils sont saisis". Une sortie rare de la part de magistrats si haut placés.
"Le besoin de procès est là", selon Emmanuel Macron
Cette sévère mise au point intervient après les déclarations du président de la République à Jérusalem jeudi, en marge des cérémonies pour le 75e anniversaire de la libération du camp d'Auschwitz-Birkenau.
Le chef de l'Etat a longuement évoqué la décision de la cour d'appel de Paris qui a déclaré pénalement irresponsable le suspect du meurtre de Sarah Halimi, sexagénaire juive tuée en 2017, estimant que "le besoin de procès" était "là".
Tout en affirmant qu'il ne pouvait commenter ouvertement une décision de justice - "Je ne peux vous parler avec le cœur, car le président est le garant de l'indépendance de la justice" - il s'est exprimé en détail sur cette affaire en cours devant la communauté française en Israël. "Un pourvoi en cassation a été formulé et constitue une voie possible", a indiqué le président, soulignant que la justice française avait "reconnu le caractère antisémite de ce crime".
Si "la responsabilité pénale est affaire des juges, la question de l'antisémitisme est celle de la République", a-t-il ajouté. "Même si à la fin le juge décidait que la responsabilité pénale n'est pas là, le besoin de procès est là."
Une intervention "problématique"
La justice, qui a qualifié d'antisémite ce crime, a déclaré le 19 décembre le suspect pénalement irresponsable, car ce gros consommateur de cannabis était alors en proie à une "bouffée délirante". Le suspect, Kobili Traoré, s'était introduit chez sa voisine de 65 ans, Lucie Attal - aussi appelée Sarah Halimi - dans la nuit du 3 au 4 avril 2017, au troisième étage d'un immeuble HLM du quartier populaire de Belleville. Aux cris d'"Allah Akbar", le jeune musulman de 27 ans avait roué de coups la sexagénaire avant de la défenestrer.
Depuis, un bras de fer judiciaire s'était engagé, d'abord sur la qualification antisémite du meurtre que les juges d'instruction avaient écartée dans un premier temps, puis sur la responsabilité pénale de Kobili Traoré. Les propos du chef de l'Etat ont choqué les magistrats, plusieurs représentants syndicaux faisant part de leur "consternation". "Nous sommes scandalisés par ces propos.
Ce n'est pas la première fois qu'il s'exprime sur cette affaire. Il avait regretté que la justice n'ait pas retenu le caractère antisémite de l'affaire. C'était déjà une intervention problématique", a déclaré à l'AFP la présidente du Syndicat de la magistrature (SM), Katia Dubreuil.
Une mise au point "absolument nécessaire"
"C'est particulièrement problématique dans cette affaire, qui suscite une émotion légitime. Il peut être difficile dans cette affaire de comprendre le raisonnement juridique, les principes fondamentaux de la justice selon lesquels on ne peut pas condamner une personne irresponsable de ses actes", a-t-elle expliqué. "Le président attise les incompréhensions, donne une appréciation qui constitue une pression supplémentaire pour les juges qui vont avoir à se pencher sur cette affaire", a-t-elle regretté.
Joint par l'AFP lundi soir, l'avocat du suspect, Me Thomas Bidnic, a jugé la "mise au point" de la Cour de cassation "absolument nécessaire". "Les déclarations du président de la République ont créé au moins l'apparence d'une pression sur la Cour de cassation", a-t-il déploré. "Cela jette un doute sur la volonté du président d'influencer la Cour de cassation. Ou c'est inutile et pourquoi le dire ? Ou c'est utile et c'est un problème."
Source : Europe 1