Après que le Conseil de Prud’hommes de Grenoble ait rendu, le 22 juillet 2019, un jugement de départage dans lequel il écarte l’avis rendu le 17 juillet par la Cour de cassation concluant à la conventionnalité du « barème Macron », le 29 juillet 2019 c'est le Conseil de Prud’hommes de Troyes qui écarte l'avis de la Cour de Cassation *

Ainsi, moins d’une semaine après l’avis de l’Assemblée plénière, l’affaire connaît son premier rebondissement.

Dès les premières heures après la diffusion de l’avis dans lequel la Cour de cassation a rejeté les arguments selon lesquels le barème de l’article L 1235-3 du Code du travail contrevient à plusieurs textes internationaux et a conclu à sa conformité à l’article 10 de la Convention 158 de l’OIT sur le licenciement, de nombreux commentateurs soulignaient que, s’agissant d’un avis et non d’un arrêt, il ne liait pas les juges du fond, qui pourraient donc refuser de l’appliquer.

C’est ce que vient de faire, moins d’une semaine après ledit avis, le conseil de prud’hommes de Grenoble.

Dans l’affaire qui lui était soumise, une salariée avait été licenciée en raison notamment d’une « altercation et prise à partie agressive de l’une de ces collègues ».

Elle demandait notamment au conseil de prud’hommes de juger le licenciement nul, car intervenu dans un contexte de harcèlement moral, ou, à titre subsidiaire, sans cause réelle et sérieuse.

Le conseil de prud’hommes la déboute de sa demande de nullité du licenciement pour harcèlement moral, considérant celui-ci comme non établi. En revanche, estimant la faute invoquée à son encontre insuffisamment démontrée et « disproportionnée au regard du contexte », il juge le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Restait la question du montant de l’indemnité, étant précisé que la salariée avait invoqué la non-conformité au droit européen du barème de l’article L 1235-3 du Code du travail.

Sur le sujet, après avoir rappelé le texte de l’article L 1235-3, les juges prennent acte de ce que l’article 24 de la Charte sociale européenne révisée n’a pas d’effet direct en droit interne dans les litiges entre particuliers.

Puis ils rappellent que le Conseil d’État a reconnu l’effet direct de l’article 10 de la Convention 158 de l’OIT, ainsi que les termes de celui-ci : en substance, si les juges n’ont pas le pouvoir d’ordonner la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d’une « indemnité adéquate » (l’expression est soulignée par le conseil).

Enfin le conseil souligne que l’avis rendu par la Cour de cassation ne constitue pas une décision au fond.

Dans un second temps, les juges examinent les faits de l’espèce : ils constatent que, en application de l’article L 1235-3 du Code du travail, la salariée aurait droit à une indemnité allant de 3 à 11 mois de salaire, soit un maximum d’un peu plus de 23 000 €.

Puis ils estiment que le préjudice réel qu’elle a subi est supérieur à la marge supérieure de cette fourchette, au regard de son ancienneté de 11 ans et 11 mois, de son âge - 55 ans au jour de son licenciement -, de sa rémunération, de sa qualification et de « son souhait affiché de monter dans la hiérarchie, projet totalement interrompu par ce licenciement », ainsi que de la perte pour la salariée de la possibilité de pouvoir bénéficier de l’allocation de fin de carrière, outre les circonstances mêmes de la rupture.

Selon le conseil, il y a lieu, pour verser à la salariée des indemnités adéquates, de retenir une somme de 35 000 € nets. Cette somme apparaissant supérieure à ce que permet l’application du barème, il doit être écarté afin de permettre une réparation adéquate du préjudice de la salariée, conformément à l’article 10 de la Convention 158 de l’OIT.

Que conclure de cette affaire ? Alors que certains espéraient, de manière un peu optimiste il est vrai, que l’avis du 17 juillet marquerait la fin des hostilités, il apparaît que rien n’est moins sûr.

Les prochains épisodes du feuilleton ? Les premières décisions de cours d’appel, qui interviendront à l’automne, les positions du CEDS et de l’OIT, même si leur portée n’est que symbolique.

Mais ce qui mettra véritablement fin au débat sera l’arrêt que la chambre sociale de la Cour de cassation rendra sur le sujet.

À noter : quelques observations pour finir. Il s’agit d’un jugement de départage, qui a donc plus de poids qu’une décision paritaire, puisque présidé et rédigé par un magistrat professionnel qui a emporté la décision.

Le conseil de prud’homme de Grenoble s’était déjà montré très critique vis-à-vis du barème dans un jugement no 18009/89 du 18 janvier 2019, mais celui-ci était paritaire. Ce jugement est une bonne illustration des conséquences, anticipées par de nombreux spécialistes de la matière et relevées par de nombreux avocats, de la barémisation sur le contentieux du licenciement : les salariés privilégient le terrain de la nullité et ne se « rabattent » sur celui du licenciement sans cause réelle et sérieuse qu’à titre subsidiaire.

Par ailleurs, ils multiplient les demandes « annexes » - manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, conditions vexatoires de la rupture, non-remise de documents relatifs à la rupture dans les délais prescrits… - lesquelles sont parfois accueillies par les juges : ici, la salarié a obtenu 8 000 € de dommages-intérêts pour méconnaissance par l’employeur de son obligation de sécurité de résultat, 5 000 € pour communication tardive de documents de fin de contrat, 2 000 € pour irrégularité de la procédure de licenciement, sans compter 2 000 € au titre du Code de procédure civile.

 

*Jugement Conseil des Prud'hommes de Troyes 29 juillet 2019

 

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