Barème d’indemnités pour licenciement abusif : bientôt l’avis de la Cour de cassation ?


Le conseil de prud’hommes de Louviers a saisi la Cour de cassation d’une demande d’avis sur la question de la compatibilité du barème d’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse avec les conventions internationales.

La saga judiciaire sur la validité du barème d’indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse va-t-elle connaître un dénouement proche ?

C’est en tout cas le souhait du conseil de prud’hommes de Louviers qui, par jugement rendu le 10 mai 2019 en formation de départage, sollicite l’avis de la Cour de cassation sur la question de savoir si, en cas d’ancienneté du salarié comprise entre un et deux ans, l’article L 1235-3 du Code du travail qui prévoit une indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse maximale de deux mois maximum est compatible avec :
– les articles 24 de la charte sociale européenne et 10 de la convention 158 de l’OIT, en ce qu’ils prévoient le droit pour les travailleurs licenciés sans motifs valables de percevoir une indemnité adéquate ;
– la convention européenne des droits de l’Homme qui garantit aux parties le droit à un procès équitable.

Le barème « Macron » est-il conforme au droit international ?

Cette question divise les juges prud’homaux depuis de nombreux mois.

Jugé conforme aux dispositions précitées de la charte sociale européenne et de la convention OIT par les conseils de prud’hommes du Mans (Cons. prud’h. Le Mans 26-9-2018 no 17/00538 : FRS 22/18 inf. 1 p. 2) et de Caen (Cons. prud’h. Caen, 18-12-2018 no 17/00193 : RJS 3/19 no 155), le barème a été invalidé, pour non-compatibilité à ces textes, par les conseils de prud’hommes de Troyes (Cons. prud’h. Troyes, 13-12-2018 no 18/00036 : FRS 1/19 inf. 5 p. 13), Paris (Cons. prud’h. Paris, 22-11-2018 no 18/00964 : FRS 9/19 inf. 5 p. 8), Amiens (Cons. prud’h. Amiens, 19-12-2018 no 18/00040 : RJS 3/19 no 155), Lyon (Cons. prud’h Lyon 21-12-2018 no 18/01238 : RJS 3/19 no 155), Grenoble (Cons. prud’h Grenoble 18-1-2019 no 18/00989 : RJS 3/19 no 155), Agen (Cons. prud’h Agen 5-2-2019 no 18/00049 en audience de départage, c’est-à-dire sous la présidence d’un juge professionnel) et Bordeaux (Cons. prud’h Bordeaux 9-4-2019 no 18/00659).

On notera que toutes ces décisions concernaient des salariés ayant une ancienneté assez faible.

Mais plus récemment, le conseil de prud’hommes de Martigues a lui aussi écarté le barème s’agissant d’un salarié ayant 14 ans d’ancienneté (Cons. prud’h Martigues 26-4-2019 no 18/00168).

Contrairement aux autres tribunaux de première instance, le conseil de prud’hommes de Louviers n’a pas souhaité trancher la question de la compatibilité de notre droit interne avec les traités internationaux et a jugé plus opportun de demander l’avis consultatif de la Cour suprême « dans un souci de bonne administration de la justice, d’unification rapide de la jurisprudence sur les lois nouvelles et afin d’éviter la multiplication de décisions contradictoires sur un même sujet ».

La Cour de cassation doit se prononcer dans les 3 mois

Conformément à l’article L 441-1 du Code de l’organisation judiciaire, avant de statuer sur une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, les juridictions de l’ordre judiciaire peuvent solliciter l’avis de la Cour de cassation.

Aucun doute que, en l’espèce, les conditions sont remplies pour saisir la Haute Juridiction.

Pour autant, il convient de souligner que la Cour de cassation a refusé, à plusieurs reprises, de rendre un avis sur la question de la compatibilité d’une disposition de droit interne avec une convention internationale. On peut citer notamment un avis du 12 juillet 2017 au terme duquel la Cour a jugé que la compatibilité des dispositions relatives à la mise à la retraite d’office par l’employeur avec la convention 158 de l’OIT ne relevait pas de la procédure d’avis, cette question relevant de l’office des juges du fond (Avis Cass. soc. 12-7-2017 no 17-70.009 PB).

Cela étant, comme le souligne le conseil de prud’hommes de Louviers, la Cour suprême a déjà admis cette possibilité en considérant que l’absence de recours contre les avis homologués du Conseil de l’Ordre en matière de responsabilité professionnelle des avocats n’était pas contraire aux exigences de la Convention européenne des droits de l’Homme (Avis Cass. 25-9-2000 no 02-00.01).

Reste à savoir si cet argument sera suffisant pour convaincre la Cour de cassation de donner un avis ou si celle-ci refusera de se prononcer en s’appuyant sur sa jurisprudence traditionnelle en la matière.

On connaîtra la réponse d’ici 3 mois, délai imparti à la Cour pour rendre sa décision. La question de la validité du barème est peut-être encore loin d’être résolue.

À noter : selon le cabinet d’avocats CMS Francis Lefebvre qui intervient dans l’une des procédures, la Cour de cassation devrait se prononcer en formation plénière le 8 juillet 2019.

 

* Jugement CPH de Martigues du 26 avril 2019 à lire en cliquant sur le lien ci-dessous

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