Aux prud’hommes de Lyon, un ancien collaborateur de Bruno Bonnell (LREM) a dénoncé vendredi des mois de travail dissimulé. Le député conteste et déplore l’opportunisme d’un militant. Cette affaire, inhabituelle, démontre le flou qui entoure le statut des collaborateurs parlementaires.
« Mister Robot » ne réglera pas cette affaire à l’amiable. Bruno Bonnell, l’entrepreneur pionnier en robotique et député LREM, se retrouve aux prud’hommes de Lyon face à Hadj Djennas, engagé auprès du député. Celui-ci, présenté à maintes reprises comme un « collaborateur parlementaire » sur les réseaux sociaux du député, affirme avoir travaillé de septembre à décembre 2017 sans contrat de travail, malgré plusieurs demandes.
Depuis janvier 2018, il veut faire requalifier son activité auprès du député Bonnell en travail salarié, comme révélé par Mediapart. Bruno Bonnell se défend en le qualifiant de simple militant bénévole. « Il n’y a jamais eu de proposition de contrat, aucune instruction de ma part », martèle le député, qui se dit surpris par cette procédure.
Ce vendredi 7 décembre, les plaidoiries se sont déroulées au conseil des prud’hommes de Lyon. L’avocat de Hadj Djennas estime qu’il y a eu un contrat de travail oral à partir du 1er septembre 2017 jusqu’à sa démission le 24 janvier 2018, et réclame à ce titre plus de 200 000 euros d’arriérés de salaire, de dommages et intérêts ou encore d’indemnités pour travail dissimulé. Une demande rejetée par l’avocat lyonnais de Bruno Bonnell. MeRomain Mifsud dénonce une procédure dilatoire et abusive et réclame notamment des dommages et intérêts pour atteinte à l’image politique.
« C’est une véritable guerre entre David et Goliath », plaide d’emblée l’avocat du plaignant, Michel Nicolas. D’un côté, son client, Hadj Djennas, ancien militant du PS, ancien directeur de campagne de Gilbert-Luc Devinaz, aujourd’hui sénateur socialiste, qui a rejoint les « marcheurs » au moment des législatives de 2017. Une fois élu, le député Bonnell a eu recours à son expertise à Villeurbanne.
Loin d’être un simple colleur d’affiches, Hadj Djennas a recensé plusieurs activités à responsabilité dans la circonscription. Il a labouré le terrain pour le député, avec une carte de visite similaire à celles de membres de l’équipe restreinte du député. Il côtoyait ainsi les autres collaborateurs parlementaires comme Jean-Éric Sendé, Anne-Sophie Monné et Bertrand Prévost. Parmi les activités recensées, il fait du terrain pour le député aux journées arméniennes de Villeurbanne, à la biennale des associations, il a trouvé une salle pour la présentation des vœux de 2018 et a même accueilli deux secrétaires d’État, selon un document consulté par Mediapart. Sur l’équipe de quatre personnes entourant Bruno Bonnell, il regrette d’avoir été le seul à ne pas être rémunéré.
En face, Bruno Bonnell est un entrepreneur à la renommée internationale, fidèle de Gérard Collomb, ancien ministre de l’intérieur et qui côtoyait déjà Emmanuel Macron à Bercy lors du plan France Robots Initiative en 2014. L’ancien boss d’Infogrames et Atari, numéro 2 mondial du jeu vidéo, est aussi une star médiatique, après un passage éphémère dans The Apprentice, l’émission de téléréalité façon Trump. En 2017, il entre en politique avec un premier fait d’armes : il ravit Villeurbanne, la sixième circonscription du Rhône, à l’ancienne ministre Najat Vallaud-Belkacem, grâce à l’étiquette En marche.
Entre deux effets de manche, les avocats fourbissent leurs armes. Tout l’enjeu est maintenant de démontrer ou non le lien de subordination et l’exécution de prestations.
Parmi les pièces, un élément capital est brandi par Me Michel Nicolas : une carte de visite originale portant le logo de l’Assemblée nationale, au nom de Hadj Djennas, prouvant selon lui un lien de subordination. Noir sur blanc, il y est écrit « collaborateur à Villeurbanne » sous le patronyme, comme sous celui de Jean-Éric Sendé. « Cela ne veut rien dire », minimise la défense.
Dans les pièces échangées, on trouve aussi des courriels de juillet 2017 entre Bruno Bonnell et Hadj Djennas. Ce dernier commence déjà à évoquer la volonté d’avoir un contrat de travail : « Je n’ai pas besoin d’argent c’est pourquoi un contrat de deux heures par semaine suffirait même si évidemment je travaillerai plus. (…) Ce qui m’intéresse c’est de disposer d’un statut de collaborateur parlementaire, pour crédibiliser mes actions et me permettre d’être plus facilement reçu par les institutions de la ville. »
La réponse de Bruno Bonnell arrive le 20 juillet : « Je suis de retour sur Villeurbanne vers le 21 août et il sera alors temps d’organiser la boucle locale. Je serais ravi de trouver une organisation ou tu trouves une place, même quasi bénévole. » Faute d’une décision prise, Hadj Djennas va relancer Bruno Bonnell à deux reprises, en octobre et en décembre 2017. Avant de claquer la porte.
Dans ses conclusions, Me Nicolas estime que « la technique constante de Monsieur Bonnell a été de jouer l’esquive et l’ambiguïté, en repoussant la date de signature du contrat de travail et le versement de salaire ». Il insiste sur le fait que Hadj Djennas est le seul collaborateur à ne pas être rémunéré ni protégé par un contrat de collaborateur, ce qui relève juridiquement de la dissimulation de travail, prévu et réprimé par l’article L8221-5 du code du travail.
« J’ai réalisé le même travail que des personnes contractualisées, j’ai participé à des réunions d’équipe le lundi », précise le plaignant à Mediapart. En parallèle, il travaille dans le domaine des assurances avec des horaires flexibles, car il est payé à la commission. « Je ne tente pas de lui nuire, je perds beaucoup en faisant ça. Je ne demande que le respect du droit du travail. Il ne peut pas utiliser le militantisme ainsi. Je prends des risques en faisant ça », insiste-t-il.
« Bon sang, mais pourquoi monsieur Bonnell ne rémunère pas monsieur Djennas alors que cela ne lui coûte pas un centime », s’interroge Me Nicolas face au conseil des prud’hommes. Chaque député a une enveloppe de 10 581 euros pour rémunérer ses collaborateurs, dans une limite de cinq personnes. Quota non atteint par Bruno Bonnell. La réponse fuse du côté de la défense : « La réponse est simple, il n’y a pas de contrat de travail. Monsieur Djennas est bénévole », poursuit imperturbablement Me Mifsud. « La sollicitation d’un contrat ne vaut pas un contrat », s’exclame-t-il.
Interrogé par Mediapart sur ce point, Bruno Bonnell trépigne : « En quoi ça le regarde comment j’affecte mon budget ? Et si j’avais envie de garder de la place pour des primes, pour un stagiaire en législation avancée, pour une rédaction d’amendement avec une personne spécialisée en droit public ? Ce n’est pas parce qu’il reste de la place qu’elle lui est due. »
Pour son avocat, aucune pièce ne prouve la subordination pour cet animateur de circonscription. En dehors de l’audience, « la demande de monsieur Djennas est farfelue. C’est une tentative pour s’attirer la lumière. Il cherche à avoir un statut, à être identifié comme un proche de Bruno Bonnell. On est très serein », réagit Me Mifsud.
Les règles du droit du travail ne sont pas étrangères à Bruno Bonnell, qui est à la tête d’Ivolution, structure qui chapeaute les sociétés Robopolis et Awabot, et du fonds d’investissement Robolution Capital. Une nouvelle fois, le député se retrouve au cœur d’une polémique, après avoir été par le passé sanctionné par l’Autorité des marchés financiers et pointé du doigt pour avoir niché deux de ses sociétés dans le paradis fiscal du Delaware selon les révélations de Mediacités.
Bruno Bonnell est passablement agacé par l’affaire : « En ce moment, j’ai un dossier prioritaire qui s’appelle la France », nous répond-il. « Je trouve paradoxal d’avoir à justifier de ne pas avoir signé de contrat, qui n’a jamais été discuté », poursuit-il. « Le principe de notre relation, c’est que ce soit un militant volontaire. J’étais ravi, car il connaît bien le territoire (…) Je n’ai pas compris pourquoi il allait en justice », poursuit-il, insistant sur le respect qu’il a pour Hadj Djennas et l’absence d’animosité.
Sur l’absence de réponses aux demandes de contrat de travail, Bruno Bonnell n’oublie pas de rappeler qu’il a embauché « plus de 6 000 personnes dans [sa] vie ». Il sait « ce que c’est de répondre oui ou non. Ce n’était pas une non-réponse ». Concernant les tâches réalisées par Hadj Djennas, il minimise : « Ce n’est pas vrai, c’est lui qui est parti pour me représenter, je ne lui ai pas demandé. » Aucune instruction n’aurait été donnée, selon lui. Il insiste sur le fait que Jean-Éric Sendé ne faisait pas le même travail à Villeurbanne et suivait des instructions, contrairement à Hadj Djennas, « en roue libre ».
Pourtant, il a été demandé à Hadj Djennas de rédiger un rapport d’activité sur ses mois de « collaboration ». Dans une pièce, rajoutée par erreur au dossier et destinée à l’origine à l’avocat de Bruno Bonnell, on découvre la liste des tâches effectuées par Hadj Djennas, mais qualifiées par Bruno Bonnell « d’initiatives personnelles ».
Cette affaire est suivie à l’Assemblée nationale. Mickael Levy, co-secrétaire général SNCP-FO et collaborateur d’un député LREM, est au courant du dossier. « En huit ans, je n’ai jamais vu ça. C’est hallucinant surtout venant de quelqu’un qui est quand même chef d’entreprise, qui a de la bouteille. En plus, Bruno Bonnell l’affichait comme collaborateur sur les réseaux sociaux. C’est improbable », s’indigne Mickael Levy.
Le syndicaliste va plus loin et pointe un manque de contrôle dans l’application du droit du travail à l’Assemblée nationale. À cause de « la sacro-sainte liberté d’emploi des députés, il n’y a pas de règles contraignantes ». Sans parler du contexte tendu, causé par l’ambiguïté du statut des assistants à l’Assemblée nationale. Un vaste chantier est d’ailleurs amorcé pour clarifier les statuts des collaborateurs parlementaires et rédiger un code de déontologie.
À Lyon, le conseil des prud’hommes se prononcera le 8 mars sur ce dossier. « Ce serait bien que monsieur Bonnell, qui participe au corps législatif, fasse une proposition de loi sur la définition du statut de collaborateur parlementaire salarié ou bénévole pour préciser leurs droits », cingle Me Michel Nicolas. Non sans ironie.
Source : Médiapart