Arrêt de la Cour de cassation, chambre sociale, 9 avril 2014, n° 13-10939
La Cour de cassation a jugé qu’un courriel de reproches peut s’analyser en un avertissement ayant pour effet de purger le pouvoir disciplinaire de l’employeur et, en conséquence, de prohiber une mesure de licenciement ultérieure fondée sur les mêmes faits.
06/08/2014
Les faits
Aux termes d’un courriel se voulant informel du 2 octobre 2009, l’employeur soulignait impulsivement auprès d’une salariée des manquements aux règles et procédures internes relatives à la sécurité des paiements par carte bleue commis les 29 septembre et 1er octobre 2009 et lui intimait de se conformer impérativement à celles-ci et à ne pas poursuivre ce genre de pratique.
Par courrier en date du 19 octobre 2009, l’employeur procédait au licenciement pour faute grave de cette salariée sur le fondement des faits évoqués dans le courriel précédent.
Les demandes et argumentations
La salariée a saisi la juridiction prud’homale aux fins de voir reconnaitre son licenciement comme étant dénué de cause réelle et sérieuse au motif que l’employeur avait épuisé son pouvoir disciplinaire en lui adressant le courriel du 2 octobre 2009 et sollicitait, en conséquence, le paiement de sommes de nature salariale et indemnitaire.
L’employeur arguait quant à lui que ce courriel, ne constituant qu’un simple rappel à l’ordre de se conformer aux règles de l’entreprise, sans expression de sanction, ne pouvait s’analyser en un avertissement.
La juridiction prud’homale faisait droit à l’argumentation de la salariée relative à l’épuisement du pouvoir disciplinaire de l’employeur et jugeait le licenciement comme étant dénué de cause réelle et sérieuse.
Par un arrêt du 27 novembre 2012, la Cour d’appel de Lyon confirmait la position des premiers juges (CA Lyon, 27 nov. 2012, no RG 11/06317). Contestant cette position, l’employeur se pourvoyait en cassation.
La décision, son analyse et sa portée
La Cour de cassation rejette le pourvoi formé par l’employeur aux termes d’un attendu reprenant la jurisprudence constante en la matière :
« Mais attendu qu’après avoir relevé que dans son courriel du 2 octobre 2009, l’employeur reprochait à la salariée des manquements les 29 septembre et 1er octobre 2009 aux règles et procédures internes à la banque relatives à la sécurité des paiements par carte bleue, et l’invitait de manière impérative à se conformer à ces règles et de ne pas poursuivre ce genre de pratique, la cour d’appel a justement décidé que ce courriel sanctionnait un comportement fautif et constituait un avertissement, en sorte que les mêmes faits ne pouvaient plus justifier le licenciement. »
Cet arrêt permet à la Cour de cassation de rappeler le périmètre extrêmement large que la jurisprudence donne à la notion d’avertissement tant en matière de contenu que de support matériel de notification.
Une telle définition de la notion d’avertissement présente sans nul doute des risques quant à l’épuisement du pouvoir disciplinaire de l’employeur, mais également de riches perspectives quant à l’utilisation de ce pouvoir s’inscrivant dans la poursuite du contrat de travail.
•La définition du périmètre de la notion d’avertissement est complexe et, en tout état de cause, très large
L’unique certitude : une observation verbale ne peut constituer une sanction disciplinaire
L’article L. 1331-1 du Code du travail dispose que « constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l’employeur à la suite d’un agissement du salarié considéré par l’employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l’entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération ».
Il ressort clairement de ce texte que les observations verbales ne peuvent en aucun cas constituer une sanction disciplinaire, ce qui n’a, à notre connaissance, jamais été contredit par la jurisprudence.
En revanche, en l’absence de précision textuelle, il existe un flou juridique quant à l’intensité permettant de déterminer le seuil à partir duquel un écrit peut être considéré comme une sanction disciplinaire, lacune qui n’a pas été comblée par la jurisprudence qui considère, notamment aux termes de l’arrêt commenté, que tout reproche formulé par écrit, et quel qu’en soit le support, est un avertissement.
Au delà de tout écrit comportant le mot « avertissement », tout reproche est un avertissement peu important le contenu et la forme
L’arrêt commenté illustre parfaitement la position de la Cour de cassation consistant à considérer que tout reproche est un avertissement puisque, en dépit du terme « rappel » utilisé dans le courriel litigieux par l’employeur (« Je souhaite que ce rappel vous fasse prendre conscience de l’impérieuse nécessité de ne pas poursuivre dans ce genre de pratique »), la Haute Juridiction a jugé qu’il sanctionnait un comportement fautif et constituait donc un avertissement.
Reproches par courriel = sanction disciplinaire
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Une sanction disciplinaire. Il n’est pas rare, aujourd’hui, que les employeurs s’adressent à leurs salariés par courriels pour leur donner des instructions mais aussi pour formuler des reproches. Dans l’esprit de leur auteur, ces « écrits » s’apparentent à de simples observations verbales, dont il faut rappeler qu’elles ne constituent pas, aux termes de l’article L. 122-40 du Code du travail, des sanctions disciplinaires. La Cour de cassation ne l’entend cependant pas ainsi. Le 06/03/07 (n° 05-43698), elle a considéré que des reproches adressés, au moyen notamment d’un courriel, pour des faits que l’employeur estimait fautifs, constituaient une sanction disciplinaire. En somme, les courriels ne sauraient être assimilés à de simples observations verbales. A partir du moment où il comporte des reproches liés à des faits que l’employeur considère comme fautifs, le courriel s’analyse juridiquement comme une sanction disciplinaire : le support importe donc peu.
Conséquence ? L’employeur ne saurait sanctionner une seconde fois ces mêmes faits, par application de la règle non bis in idem. Toute sanction qui viserait à sanctionner de nouveau ces faits aurait vocation à être annulée par le juge et un licenciement serait jugé sans cause réelle et sérieuse. Les courriels peuvent donc jouer de bien mauvais tours car leur portée juridique est identique à celle d’un courrier postal.
Vos courriels peuvent être assimilés à des sanctions. Donc, limitez-vous à des constats de situation afin de conserver une trace écrite de l’existence des faits pour votre dossier.
Gare à l’avertissement qui ne dit pas son nom...
Savez-vous qu’un courrier ou un e-mail de mise en garde, de rappel à l’ordre, de recadrage, ou indiquant au salarié qu’il n’a pas fait ceci ou a mal fait cela constitue en réalité une sanction ? Une qualification lourde de conséquences.
La notion de « sanction »
Le Code du travail. L’article L 1331-1 du Code du travail prévoit : « Constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l’employeur à la suite d’un agissement du salarié considéré par l’employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou la présence du salarié dans l’entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération » .
La jurisprudence. Les juges appliquent à la lettre cette définition. Un écrit (lettre, e-mail, etc.) par lequel un employeur reproche au salarié des manquements aux règles en vigueur dans l’entreprise et l’invite à s’y conformer constitue une sanction disciplinaire (Cass. soc. 26.05.2010 n° 08-42893 ; Cass. soc. 07.03.2012 n° 10-21234 ; Cass. soc. 09.04.2014 n° 13-10939) .
Bon à savoir. Contrairement à certaines idées reçues, un avertissement n’est pas nécessairement une LRAR dans laquelle l’employeur indique prononcer cette sanction. L’e-mail du supérieur comportant un reproche, le rappel à l’ordre, le recadrage sont des avertissements au sens de la loi.
« Alors, tout est sanction ? » Non, et c’est là toute la difficulté. La Cour de cassation a jugé que des écrits de l’employeur par lesquels celui-ci se borne (i) à demander au salarié de se ressaisir avec des propositions à cette fin ou (ii) à mettre en garde un salarié sur la portée de ses propos ne sont pas des sanctions disciplinaires (Cass. soc. 13.12.2011 n° 10-20135 ; Cass soc. 05.07.2011 n° 10-19561) .
Le risque « non bis in idem ». Lorsqu’un écrit, d’apparence banale, est qualifié d’avertissement, il constitue une sanction disciplinaire. Or, il existe un principe, appelé « non bis in idem », selon lequel, sauf réitération, des faits déjà sanctionnés ne peuvent pas faire l’objet d’une nouvelle sanction.
L’usage de la sanction
Sachez que la frontière est fine. À bien étudier la jurisprudence, l’écrit comportant un reproche et invitant le salarié à corriger le tir serait un avertissement tandis que l’écrit alertant le salarié sur un comportement critiquable en lui indiquant que cela pourrait être éventuellement qualifié de faute ne serait qu’une mise en garde. Ainsi, à notre sens, il est pratiquement impossible de dire avec certitude ce qui est une mise en garde autorisant une sanction ultérieure des mêmes faits et ce qui est un avertissement épuisant le pouvoir disciplinaire de l’employeur.
Prohibez les réactions immédiates. Souvent, sous le coup de l’énervement, le chef d’entreprise ou le N+1 du salarié fautif adresse un e-mail un peu vif au salarié dès que la faute est connue. Attention ! Cet écrit, même sans mention du mot « avertissement » est une sanction disciplinaire. Le licenciement pour les mêmes faits est injustifié.
Faites un choix. Quand vous considérez qu’un acte ou une omission d’un salarié n’est pas « normal », vous devez d’abord en apprécier la gravité au regard de sa qualification, de son ancienneté, de ses fonctions et responsabilités.
Soit la gravité est telle qu’il faut d’emblée envisager une sanction supérieure à l’avertissement : engagez la procédure prévue.
Soit vous envoyez un courrier d’avertissement, d’alerte, de mise en garde ou de recadrage en ayant à l’esprit que, sauf réitération, vous ne pourrez pas prononcer de sanction pour ces faits.
Distinguer un avertissement d’une mise en garde ou recadrage écrit est difficile. Or, la requalification d’un écrit a priori banal en un avertissement entraîne l’annulation de la sanction prononcée pour les faits visés dans le premier écrit. Prohibez tout écrit « à chaud » et fixez vos objectifs avant toute réaction écrite.